Dan-T c’est mon blaze ! mon prénom, c’est Daniele en italien.
C’est toute l’histoire de ma vie dans le rap jusqu’à maintenant ! Je guette les opportunités et je les saisis. J’essaye de me donner les moyens en prenant plus confiance en moi.
Dan-T les Autres, comment as-tu choisi ce nom ? Et qui sont « les Autres » ?
Dan-T c’est mon blaze ! mon prénom, c’est Daniele en italien. Depuis que je suis petit, mes proches me surnommaient Dante en référence au poète italien et ce surnom est resté. J’ai ensuite mis un tiret, entre Dan et T, pour le côté rap, un petit clin d’œil au graff. C’est aussi une manière d’obliger les francophones à prononcer le prénom en italien. Pas mal de gens pensent que je m’appelle réellement comme ça. C’est en quelque sorte devenu plus qu’un nom d’artiste au fil du temps.
Et « les Autres » ? C’est en référence au groupe avec lequel j’ai démarré le rap.On était cinq : Stan-les Autres, Milo, Barros,Yassin et moi. On était tous différents les uns des autres, alors Milo a proposé ce nom de groupe qu’on a validé à l’unanimité. Entre 2003 et 2009, grâce à Stan qui avait déjà un très bon réseau, on a fait quelques scènes. On a enregistré des morceaux et on est aussi apparu sur quelques compilations du rap belge, les premiers Give me 5 prod ! Nous ne sommes plus vraiment un groupe à l’heure actuelle mais on a tous gardé un attachement assez fort à celui-ci. Du coup, j’ai choisi Dan-T en nom et les Autres comme s’il s’agissait d’un nom de famille.
D’où t’est venue l’envie de te lancer dans le rap ? As-tu eu des artistes qui t’ont influencé et comment ont-ils eu une incidence sur ta musique ?
De la découverte
Avant mes 14 ans, je n’écoutais pas beaucoup de musique en fait, sauf ce que ma mère écoutait : Bob Marley, Cat Stevens, Teresa De Sio (chanteuse populaire napolitaine). Des gens qui rêvaient d’ailleurs, de participer à un changement, …
Ensuite au début des années ’90, mon meilleur ami de l’époque, mon voisin, me ramène de ses vacances des cassettes audio, piratées d’albums du moment mais aussi plus anciens. Il m’en passe quelques-unes dont certaines qu’il trouve nulles haha. Parmi ces cassettes, il y en a une qui me traumatise: Public Enemy « It takes a nation of millions to hold us back » sorti fin des années ’80. Moi, je ne parle pas anglais mais ce qui me traumatise, c’est le son, la structure rythmique qui répond à quelque chose de profond pour moi et puis quand je traduis le texte, je comprends qu’il y a une critique sociale derrière et c’est un truc qui me parle aussi. Dans la foulée, je découvre un peu le rap français. MC Solaar « Qui sème le vent récolte le tempo », ensuite « Prose Combat ». MC Solaar représente l’alliance de tout ce qui me plaît, le son, la révolte, la rythmique et en plus il est littéraire. J’ai 14 ans et je m’identifie parce que grâce à ma mère, moi aussi j’aime les bouquins sans pour autant venir d’un milieu social favorisé.
Des influences
Je suis dans une sorte de boulimie musicale, je vais à la médiathèque et je loue tout ce qui est rap. ‘95-’96 sont les belles années du rap français, il y a plein d’albums qui sortent ! Si je devais citer les groupes qui m’ont réellement influencé, qui m’ont poussé à écrire, je dirais : NTM, pour le côté rageux, “animal”, pour l’écriture spontanée. I AM, entre autres parce que j’étais passionné des arts martiaux et le groupe proposait aussi un autre univers à travers lequel ils parlaient de la réalité en mode métaphorique. Arsenic, aussi amateurs des arts martiaux et de métaphores. Ce sont des univers qui m’inspirent. Du côté américain, complètement WU Tang, les flows, les voix ( ils sont 9, chacun à son style, sa voix). Il y a aussi Cypress Hill que je découvrirai beaucoup plus tard.
“ J’ai jamais été très Dre, Snoop, c’est pas moi ! Il y a trop de palmiers, trop de soleil, trop de meufs” ( rires). J’ai besoin de pouvoir voyager et tous les groupes qui traduisent ça dans leur musique me plairont.
Comment t’est venue l’envie d’écrire et de rapper tes textes ?
J’aime l’écriture depuis tout petit. Vers l’âge de 15 ans, j’écris quelques textes mais sans aucune prétention à rapper ou chanter, je voulais juste écrire. Pour la petite anecdote, je ré écrivais parfois des textes de MC Solaar, NTM ou IAM sur mes classeurs d’école pour que les gens le voient, enfin, surtout les filles et c’est arrivé. Muriel, pardon, (rires) je lui ai dit que c’était moi qui avais écrit le premier couplet d’NTM “ j’appuie sur la gâchette” (rires). Elle l’a lu et elle était sous le charme (rires) …après, il fallait quand même que je sois honnête à 50% dans ce que je faisais et le deuxième couplet c’était réellement mes textes (rires).
C’est vers 17-18 ans, que j’ai essayé de rapper mes propres textes. Je trainais souvent au quartier du Dries ( petit quartier social à Boitsfort) et un jour, un pote me propose d’aller à un atelier d’écriture qui se donnait dans les Marolles dont Pitcho était l’animateur. C’est un animateur de génie ! Je me souviens encore d’un moment où Pitcho a balancé un son de Vivaldi “les 4 saisons” et a dit : “ok rappez là dessus”. Personne ne voulait essayer et moi je me suis lancé (rires). Pitcho m’a encouragé, ce qui a représenté un véritable tournant, une révélation. Pitcho m’a dit que j’étais fort parce que j’avais fait le con sur Vivaldi (rires). Alors j’ai commencé à rapper mes propres textes et si d’autres opportunités arrivaient, je les saisissais. C’est toute l’histoire de ma vie dans le rap jusqu’à maintenant ! je guette les opportunités et je les saisis. J’essaye de me donner les moyens en prenant plus confiance en moi.
D’où te vient l’inspiration ?
Au niveau de la création, c’est de toute façon des sujets qui me parlent. La majorité de mes textes sont toujours imprégnés de mon vécu ou du vécu de mes proches. Au niveau du processus, j’ai besoin d’une inspiration musicale. Les notes me donnent une idée, ensuite les mots, les phrases arrivent et puis j’écris ! Il y a des rappeurs qui peuvent te faire un seize (un texte) en une heure ou deux, moi, c’est impossible, je suis plus lent. J’ai besoin d’écrire quelques phrases, de décrocher et d’y revenir dessus le lendemain. Je pense que c’est dû au fait que je ne suis jamais content de ce que j’écris.( rires)
Te considères-tu comme un rappeur “undergound” ?
Undergound, ouais, plus que jamais! (rires). Clairement, par rapport à certaines tendances, certains styles. Je n’ai jamais fait de plan de carrière, j’ai vécu les choses comme elles venaient en y mettant un maximum d’amour et de passion. Je ne sais pas trop ce que l’avenir me réserve, je continuerai en tout cas à saisir les opportunités mais une chose est sûre, je resterai fidèle à moi-même, c’est essentiel ! Si on me demande de faire une chanson en maillot de bain avec “vocorder”, je ne le ferai pas parce que ce n’est pas moi et puis je ne le ferai pas bien (rires).
Comment est-ce que tu concilies rap et activités professionnelles ?
C’est un peu comme si la vie avait naturellement organisé mon temps de manière à ce que je puisse faire ce qui me passionne. A la base, j’ai fait des études de socio et ensuite une agrégation en sciences sociales, je me suis dit que ça pouvait toujours servir (rires). Durant mes études, j’ai obtenu des bourses qui ont été un moteur important dont je parle dans certains de mes titres. Je savais que si je ratais, je risquais de tout perdre, ces bourses d’études ont été en quelque sorte une leçon de vie. Les études finies, j’ai enchaîné les petits boulots jusqu’à obtenir une place de prof dans des écoles mais toujours à mi-temps. Du coup, j’avais suffisamment de temps pour rapper. Pas beaucoup d’argent, mais du temps (rires).
Selon toi, quels ont été tes meilleurs sons ?
Il y en a un qui me vient directement à l’esprit, c’est La poignée de punchline Dan-T pour Give me 5 prod. Je l’ai partagée récemment sur mes réseaux. Gros défi ! Tu reçois 20 mots et tu dois faire un texte.Tu as un temps assez serré pour écrire et enregistrer. Je suis assez fier de ce son parce que je suis sorti d’une zone habituelle d’interprétation vocale. La manière dont je faisais du rap jusqu’avant ce morceau était presque toujours la même, très MC Solaar, avec des flows parfois américains mais toujours avec cette recherche du texte qui prime. Là, dans “La poignée de punchline”, je me suis énervé et le ton de ma voix a changé. Ça a été un déclic, j’ai apporté plus de variations au niveau du ton.
Depuis, je n’ai plus ni écrit, ni rappé de la même manière. Le titre, “L’art de se complaire”, sorti en 2003 dans une compil de “ Les Autres”, qui n’existe pas dans mes albums mais en mp3. Je suis fier d’avoir réalisé un solo au sein du collectif. C’était mon premier texte solo, deux couplets, un refrain. Un autre titre, ”Au bout de la nuit”, de mon dernier album “ Retour aux sources”, sorti en 2018. C’est la première fois que je suis à l’origine de la musique pour un titre. C’est moi qui ai choisi le sample que j’ai repris d’un manga “ Samurai Champloo”. Il y a une scène magnifique d’une minute trente avec une musique traditionnelle japonaise qui parle de la vie et de la mort. Le beatmaker a composé sur base de ce que je lui ai donné en ajoutant un son un peu “trap”. J’en suis doublement fier parce que je suis à l’origine de l’idée et je teste un flow inédit pour moi : la trap et ça me plaît grave !
Et le rap, c’était mieux avant ?
Chaque époque a de belles choses. Après, je ne peux pas totalement dire: c’était mieux avant ! Mais par rapport à mes valeurs, au niveau du rap français, en ‘97-’98, je vais me reconnaître dans une partie du rap mainstream. Aujourd’hui, je ne peux plus dire ça. Il y a des artistes géniaux, sauf que ce ne sont pas eux qui vendront le plus. Si I AM sort “l’école du micro” d’argent maintenant, il ne ferait pas les mêmes ventes.
Avec quel rappeur du moment ferais-tu une collab ?
Nekfeu, sans hésiter. Et pour faire comprendre aux gens que je ne suis pas ancré dans mon rap de ‘96, j’ai eu une sorte de révélation récente en pensant à Ninho (rires) , où je me suis dit: “pourquoi pas”. Dans son bateau qui n’est pas le mien, il est là, Gucci, c’est lui ! Donc Ninho, pourquoi pas, pour la texture de sa voix, son flow. Côté femmes, Casey, est pour moi la meilleure rappeuse. Elle teste pas mal de choses, artistiquement, elle est juste magnifique. J’aimerais beaucoup la rencontrer. Après il y en a pleins d’autres que j’aime bien , Keny Arkana, même si le créneau de la révolution a bien été creusé (rires), Diam’s pour son côté humain. Chilla, ça dépend de ses titres.
Tu animes aussi des ateliers rap pour les jeunes ?
Les ateliers, c’est à nouveau une histoire d’opportunités. En 2010, un pote à moi qui était éducateur chez “Abaka”, un centre d’hébergement pour ados en crise me demande si j’ai pas envie de venir expliquer comment rapper ! Finalement, j’ y ai donné des ateliers en tant que bénévole durant une année qui fut très enrichissante. Je n’étais pas confronté aux jeunes du quartier mais bien à la détresse de la jeunesse. Encore merci à “Abaka” pour cette belle leçon de vie. Ensuite, vers 2011-2012, un autre pote Maky, animateur et responsable des ateliers rap chez Lezarts Urbains avec qui j’ai eu des scènes en commun, cherchait du renfort. Avec le recul, je pense clairement qu’il m’a testé (rires) en me donnant un projet d’atelier dans une école à Schaerbeek. Fort de l’expérience avec Abaka, ça c’est super bien passé. Depuis, Lezarts Urbains me contacte pour plein de projets : écoles, maison de jeunes et récemment j’ai travaillé au sein d ‘une IPPJ ( institution publique de protection de la jeunesse), pour le projet Activ Ados qui tente de susciter l’éveil chez les jeunes. Grâce aux gens que j’ai croisés et au bouche à oreille, mon réseau s’ est agrandi.
Qu’est-ce que tu retires de ces ateliers ?
C’est réellement un échange gagnant. Moi, je n’aime pas beaucoup le mot transmission, je suis dans l’échange, la communication. Les jeunes testent mes limites. Leurs expériences sont précieuses ( leur vécu, ce qu’ils écoutent) et je suis quand même impressionné par la facilité avec laquelle ils te créent un morceau, un texte de “trap”, même avec plein d’insultes (rires). J’écoute aussi tout ce qui sort comme son pour limiter le décalage avec les jeunes (rires).
Et qu’est-ce que tu apportes aux jeunes ?
Je tente de faire en sorte qu’à la fin des ateliers, les jeunes apprécient un minimum notre travail ou au mieux qu’ils se passionnent pour ce qu’on est en train de découvrir. J’essaye de leur donner l’amour de la rythmique, celle qui m’a traumatisé Public Enemy (rires). Je tente de faire sortir de l’émotion, de créer une cohésion de groupe, de rendre les jeunes sensibles à la rythmique, qu’ils aient un minimum de confiance en eux en osant poser un texte. Pour les jeunes plus expérimentés qui viennent déjà avec des textes, je vais juste les calibrer. Je vais travailler la technique ou l’interprétation. Je suis plus en mode “The Voice”,en mode coaching (rires). Avec certains, on va plus loin et on termine au studio.
Ton actu ?
Là, je travaille sur mon nouvel album. Je n’ai pas de label donc j’avance à mon rythme. J’ai déjà 7 chansons et les autres sont en cours d’écriture. Je réfléchis encore au titre de mon album mais clairement il répondra une fois de plus à mon vécu, mon actualité. L’album sortira début 2022 et pour les gens qui me connaissent, ils risquent d’être surpris.